« Chez moi, je décore comme je veux »
Réflexion sur la liberté d’expression et le besoin de contrôle des autres
Il existe, dans le monde numérique comme dans le monde physique, une tendance curieuse chez certaines personnes à vouloir imposer leur vision, leurs goûts, leurs émotions, voire leurs limites… chez les autres. Une publication sur les réseaux, une image, une opinion, une phrase sincère ou symbolique, et voilà que surgit le commentaire de trop. Celui qui ne questionne pas, qui n’ouvre pas à la discussion, mais qui ordonne. Parfois enrobé de politesse, mais souvent brutal dans son intention : « Tu ne devrais pas dire cela. », « Tu vas trop loin. », « Tu dois arrêter de publier ce genre de choses. »
Mais pourquoi donc certaines personnes se sentent-elles investies du droit — et même du devoir — de dicter à autrui ce qu’il peut ou ne peut pas exprimer sur sa propre page, dans son propre espace, avec ses propres mots ? Pourquoi ce besoin si impérieux de régir le territoire de l’autre comme s’il leur appartenait ?
Chez beaucoup de ceux qui ordonnent, il y a un sentiment profond de perte de contrôle. Face à des publications qui dérangent, qui secouent, qui réveillent des émotions refoulées, la réaction instinctive est souvent de rejeter la faute à l’extérieur. Au lieu d’accueillir ce que cela provoque en eux, ils préfèrent tenter de faire taire la source. C’est plus facile que de s’interroger.
Certaines vérités dites simplement, ou certaines colères exprimées légitimement, deviennent insupportables pour ceux qui ne veulent pas voir ce qu’elles révèlent. Ils se sentent mis à nu, parfois même agressés, alors qu’en réalité ce n’est pas l’autre qui attaque, mais la vie intérieure qui appelle à être regardée. C’est là que naît l’ordre, le verdict, le « stoppe ça ». Comme si cela allait tout arranger. Comme si le silence des autres allait éteindre leur propre inconfort.
Nous avons oublié une chose essentielle sur les réseaux : ce que vous voyez chez quelqu’un d’autre, c’est chez lui. Pas chez vous. C’est sa page, sa publication, son espace d’expression. S’y aventurer pour imposer son propre cadre, c’est comme entrer dans une maison en déclarant : « J’aime pas la couleur de tes rideaux. Change-les. » Ou encore : « Ton canapé me dérange, je veux que tu le mettes ailleurs. »
Personne ne ferait ça en vrai. Du moins, pas sans passer pour grossier, intrusif ou déplacé.
Et pourtant, dans le monde virtuel, cette intrusion devient monnaie courante. On oublie que l’on est invité, que l’on choisit de suivre, que l’on peut partir sans claquer la porte ni juger la décoration. Ce n’est pas parce qu’un espace est accessible qu’il nous appartient.
Un autre ressort fréquent de ces comportements est l’émotionnalité surdimensionnée. On confond choc personnel avec vérité universelle. Autrement dit, si je me sens blessé, alors tu as forcément eu tort. Cette logique est biaisée, car l’émotion personnelle ne justifie pas la censure.
Être choqué ne donne pas le droit d’ordonner. Cela donne, au mieux, une opportunité de comprendre pourquoi cela me choque. Peut-être suis-je en désaccord. Peut-être ai-je vécu un traumatisme. Peut-être même que j’interprète de travers. Mais rien de tout cela ne m’autorise à venir demander à l’autre de se rétrécir pour que je me sente plus à l’aise.
On ne fait pas grandir l’humanité en censurant les voix qui dérangent. On la fait grandir en apprenant à écouter, confronter, parfois s’éloigner, mais toujours respecter.
Publier, écrire, s’exprimer, ce n’est pas toujours chercher l’adhésion. Ce n’est pas non plus une invitation à imposer un contre-ordre. Le respect, ce n’est pas dire « je suis d’accord ». Le respect, c’est dire : « Je vois que tu t’exprimes comme tu le souhaites. Je n’ai pas besoin d’intervenir. »
Et si vraiment le propos dérange profondément, il existe une solution simple, adulte, non-violente : se désabonner, bloquer, ou partir.
Ce n’est pas être lâche, c’est reconnaître que le territoire de l’autre n’est pas le nôtre, et que parfois, pour se préserver, il vaut mieux quitter la pièce plutôt que la redécorer de force.
Alors permettez-moi cette métaphore claire :
Si je viens chez vous un jour, par politesse, par humanité, par bienveillance, jamais je ne me permettrais de critiquer la disposition de vos meubles, les couleurs de vos murs ou les photos de votre famille. Je suis invitée, je respecte.
Même si ce n’est pas mon style, je me tais. Ou je pars.
Alors j’attends de vous la même chose : que vous ne veniez pas chez moi — même virtuellement — pour me dire que ce que je publie ne vous convient pas. Car c’est chez moi, dans mon univers, dans ma parole, dans mon travail, que je m’exprime. Vous êtes libres de passer, de lire, d’aimer, de commenter respectueusement.
Mais vous n’êtes pas chez vous.
Il y a une beauté immense dans la diversité des expressions. Certains écrivent pour éveiller, d’autres pour consoler. Certains provoquent, d’autres apaisent. Tous ont leur place, tant qu’ils n’incitent pas à la haine ou à la violence.
Et si ce que vous lisez vous dérange… c’est peut-être que cela vous interroge. Et si vous ne comprenez pas, posez une question. Et si vraiment vous ne supportez pas, alors partez en paix.
Mais ne venez pas ordonner le silence comme s’il allait guérir vos blessures. Ce n’est pas le silence de l’autre qui soigne, c’est la lumière que vous porterez sur vos réactions.
En conclusion :
Chacun est libre de s’exprimer dans son propre espace. Et s’il y a bien une chose que nous devons apprendre, c’est que la liberté de l’un s’arrête là où commence le territoire de l’autre. Vous n’êtes pas obligé d’aimer. Vous n’êtes pas obligé de suivre. Mais vous êtes tenu, en tant qu’être humain, au respect de la demeure de chacun.
Car non, je ne viendrai jamais chez vous déplacer vos meubles. Alors ne venez pas chez moi me demander de ranger mes mots.